Le théorème de représentation de Stone
Introduction
On appelle généralement théorème de représentation de Stone
le résultat bien connu suivant :
Toute algèbre de Boole est isomorphe à celle des parties à la fois ouvertes et fermées d'un espace topologique, que l'on peut choisir compact et totalement discontinu, et dans ce cas ce dernier est unique à homéomorphisme près.
Mais il s'agit seulement d'un cas particulier de l'énoncé de Stone. Ce dernier, qui traite le cas d'un treillis distributif arbitraire, est l'illustration des idées réellement novatrices que l'on doit à Stone, parmi lesquelles celle, fondamentale, de considérer (avant Zariski)Voir : P. Johnstone, Stone Spaces, Cambridge University Press (1986), pour les précisions historiques. les idéaux premiers comme des points, et l'obtention d'un véritable résultat de dualité plusieurs années avant la formulation de l'équivalence de catégories par Eilenberg et Mac Lane.
On donne ci-dessous l'énoncé et la preuve du théorème complet de Stone sur les treillis distributifs,
dans un langage plus moderne
que l'article original, un peu difficile à lire. M. H. Stone, Topological
representations of distributive lattices and Brouwerian logics. Časopis Pěst. Mat.
Fys. 67 (1937), p. 1-25.
Treillis distributifs
Dans la suite le terme
Un
- \(({\rm I}_1)\)\(\forall x\in\ga\,,\>\forall y\in T\,,\>(y≤x\implique y\in \ga)\)
- \(({\rm I}_2)\)\(\forall x,y\in\ga\,,\>x\vee y\in\ga,\)
la propriété \(({\rm I}_1)\) pouvant être remplacée par
- \(({\rm I'}_2)\)\(\forall x\in\ga\,,\>\forall y\in T\,,\>x\wedge y\in \ga.\)
Tout idéal \(\ga\) d'un treillis \(T\) contient \(0,\) et \(\ga=T\) si, et seulement si, \(1\in\ga.\)
Un
Un
— Lemme de Krull Soit \(T\) un treillis distributif et \(\gf\) une partie de \(T\) non vide et stable par \(\wedge.\) Soit \(\gi\) un idéal de \(T\) tel que \(\gi\inter\gf=\Vide,\) maximal, pour l'inclusion, parmi les idéaux vérifiant cette propriété. Alors \(\gi\) est premier.
— Théorème de Krull Soit \(T\) un treillis distributif et \(\gf\) une partie de \(T\) non vide et stable par \(\wedge.\) Pour tout idéal \(\ga\) de \(T\) disjoint de \(\gf,\) il existe un idéal premier \(\gi\) contenant \(\ga\) et disjoint de \(\gf.\)
En effet, l'ensemble des idéaux contenant \(\ga\) et disjoints de \(\gf\) est clairement inductif pour l'inclusion. D'après le lemme de Zorn il admet un élément maximal \(\gi,\) lequel est premier d'après le résultat précédent.
— Dans un treillis distributif \(T,\) tout idéal est l'intersection des idéaux premiers qui le contiennent.
Une inclusion est évidente ; pour l'autre, soit \(\ga\) un idéal de \(T\) et \(x\in T\setminus \ga.\) D'après le résultat précédent appliqué à \(\gf=\{x\},\) il existe un idéal premier contenant \(\ga\) mais pas \(x.\)
Spectre
Dans cette section \(T\) désigne un treillis distributif. On va lui associer un espace topologique dont les points sont les idéaux premiers de \(T,\) analogue à l'espace spectral (topologie de Zariski) d'un anneau commutatif.
On appelle
Si \(\ga\) est l'idéal engendré par \(A\) on a de façon évidente
\(V_T(A)=V_T(\ga).\)
— Les ensembles
\(V_T(A),\) \(A\subset T,\) sont les fermés d'une topologie sur \(\Spec(T),\) appelée
- \(\Vide=V_T(T)\) (tout idéal premier est strict).
- Pour toute famille \((A_i)_{i\in I}\) de parties de \(T,\) on a \[\Inter_{i\in I}V_T(A_i)=V_T\Big(\Union_{i\in I}A_i\Big)\,.\]
- Par définition d'un idéal premier, pour tous \(x,y\in T,\) \[V_T(x)\union V_T(y)=V_T(x\wedge y)\,,\] d'où, pour toutes parties \(A\) et \(B\) de \(E,\) \begin{eqnarray*} V_T(A)\union V_T(B)&=&\Inter_{x\in A}V_T(x)\union \Inter_{y\in B}V_T(y)\\ &=& \Inter_{x\in A}\Inter_{y\in B}V_T(x)\union V_T(y)\\ &=& \Inter_{x\in A}\Inter_{y\in B}V_T(x\wedge y)\,. \end{eqnarray*}
Compléments sur les espaces topologiques
On rappelle qu'un espace topologique \(X\) est
On rappelle qu'un espace topologique \(X\) est un pour tous \(x,y\in X\) distincts il existe un voisinage de \(x\) ne contenant pas
\(y\)
(qui équivaut au fait que les singletons sont fermés), elle-même plus faible que la
séparation.
Dans tout espace topologique \(X,\) la relation \(≤\) sur les points
définie par \[x≤y\ssi y\in\overline{\{x\}}\ssi \overline{\{y\}}\subset\overline{\{x\}}\] est un préordre,
que l'on appellera
On dit que \(x\) est un
On rappelle qu'un espace topologique \(X\) est
- Toute intersection finie d'ouverts non vides est non vide ;
- \(X\) est non vide et l'intersection de deux ouverts non vides est non vide ;
- \(X\) n'est pas réunion finie de fermés stricts ;
- \(X\) est non vide et n'est pas réunion de deux fermés stricts ;
- \(X\) est non vide et tout ouvert non vide de \(X\) est dense dans \(X\) ;
- \(X\) est non vide et tout ouvert de \(X\) est connexe.
Tout singleton est irréductible. Tout espace séparé irréductible est un singleton. Tout ouvert non vide d'un espace irréductible est irréductible. Une partie \(Y\) d'un espace topologique \(X\) est irréductible si, et seulement si, son adhérence l'est (de sorte que l'étude des parties irréductibles de \(X\) se ramène à celle des fermés irréductibles.
Soit \(X\) un espace topologique, et \(F\subset X.\) On dit qu'un point \(x\in F\) est un
Soit \(X\) un espace topologique. Les propriétés suivantes sont équivalentes :
- \(X\) est un espace de Kolmogorov ;
- Le préordre topologique est une relation d'ordre (appelée dans ce cas
ordre topologique ) ; - L'application \(x\mapsto\overline{\{x\}}\) est injective ;
- Tout fermé de \(X\) a au plus un point générique.
On dit qu'un espace topologique est
Énoncé du théorème
On dit qu'un espace topologique \(X\) est un
- \(({\rm S}_1)\)\(X\) est sobre ;
- \(({\rm S}_2)\)\(X\) est quasicompact ;
- \(({\rm S}_3)\)Les ouverts quasicompacts forment une base d'ouverts ;
- \(({\rm S}_4)\)L'intersection de deux ouverts quasicompacts est quasicompacte.
Etant donné un espace topologique \(X,\) on note \(\oqc(X)\) l'ensemble des ouverts quasicompacts de \(X,\) ordonné par inclusion.
— Théorème de Stone
- Pour tout treillis distributif \(\,T,\) \(\Spec(T)\) est un espace spectral.
- Pour tout espace spectral \(X,\) \(\oqc(X)\) est un treillis distributif.
- Tout treillis distributif \(\,T\) est isomorphe à \(\oqc(\Spec(T)).\)
- Tout espace spectral \(X\) est homéomorphe à \(\Spec(\oqc(X)).\)
— Tout treillis distributif \(\;T\) est isomorphe à celui des ouverts quasicompacts d'un espace spectral, uniquement déterminé à homéomorphisme près.
C'est quasiment une paraphrase du théorème précédent. L'unicité à homéomorphisme près provient du point d), puisque pour tout espace spectral \(X\) tel que \(T\simeq\oqc(X)\) on aura alors \[X\simeq\Spec(\oqc(X))\simeq\Spec(T)\,.\]
— Tout espace spectral \(X\) est homéomorphe au spectre d'un treillis distributif, uniquement déterminé à isomorphisme près.
dans
les deux sens
. Dans un sens, il donne une représentation topologique des treillis distributifs. Dans
l'autre, il donne une caractérisation purement topologique des topologies spectrales de treillis
distributifs. On verra par ailleurs qu'il s'agit plus d'un théorème de dualité que de
représentation.
Démonstration du théorème
Preuve du point a)
Soit \(T\) un treillis distributif.
Pour tout \(x\in T\) on pose \(D_T(x)=\Spec(T)\setminus V_T(x)\) (ensemble des idéaux premiers ne contenant pas \(x).\) Les ensembles \(D_T(x),\) où \(x\in T,\) sont des ouverts appelés ouverts élémentaires, et constituent une base d'ouverts de la topologie spectrale. En effet, ces ensembles sont ouverts comme complémentaires de fermés, et pour tout ouvert \(U\) de \(\Spec(T),\) il existe un ensemble \(A\subset E\) tel que \(U=\Spec(T)\setminus V_T(A),\) d'où \[U=\Spec(T)\setminus\Inter_{x\in A}V_T(x)=\Union_{x\in A}D_T(x)\] est réunion d'ouverts élémentaires.
L'espace topologique \(\,\Spec(T)\) est un espace de Kolmogorov.
En effet, si \(\ga\) et \(\gb\) sont deux idéaux premiers distincts, l'un des deux, par exemple \(\ga,\) ne contient pas l'autre, et en considérant \(x\in\gb\setminus\ga,\) \(U=D_T(x)\) est un voisinage de \(\ga,\) et \(\gb\notin U.\)
Pour \(Y\subset\Spec(T),\) notons \(I_T(Y)\) l'idéal \(\Inter_{\ga\in Y}\ga.\) D'après pour tout ensemble \(A\subset T,\) \(I_T(V_T(A))\) est l'idéal engendré par \(A.\)
L'adhérence d'un ensemble \(Y\subset\Spec(T)\) pour la topologie spectrale est l'ensemble \(V_T(I_T(Y)).\)
En effet, c'est bien un fermé contenant \(Y,\) et c'est le plus petit car tout fermé \(F\) est de la forme
\(V_T(A),\) et dans ce cas
Soit \(\ga\) un idéal de \(T.\) Le fermé \(V_T(\ga)\) est irréductible si, et seulement si, l'idéal \(\ga\) est premier.
En effet, si \(\ga\) est premier alors \(V_T(\ga)=\overline{\{\ga\}}\) est irréductible comme fermé ayant un point générique. Inversement, supposons \(V_T(\ga)\) irréductible. L'idéal \(\ga\) est strict car sinon \(V_T(\ga)\) serait vide. Soient \(x,y\in T\) tels que \(x\wedge y\in\ga.\) Par définition d'un idéal premier on a alors : \(\forall \gb \in V_T(\ga)\,,\>x\in \gb\) ou \(y\in \gb,\) autrement dit : \(V_T(\ga)\) est la réunion des deux fermés \(V_T(x)\) et \(V_T(y).\) Le fermé \(V_T(\ga)\) étant supposé irréductible, l'un de ces deux fermés est \(V_T(\ga)\) tout entier, donc contient le point \(\ga,\) c'est-à-dire : \(x\in \ga\) ou \(y\in\ga.\) L'idéal \(\ga\) est donc premier.
Tout fermé irréductible de \(\,\Spec(T)\) a un point générique.
En effet, les fermés de \(\Spec(T)\) sont les ensembles de la forme \(V_T(\ga)\) ou \(\ga\) est un idéal, et d'après un tel fermé est irréductible si, et seulement si, \(\ga\) est premier, c'est-à-dire \(\ga\in\Spec(T).\) Mais alors d'après \(V_T(\ga)=\overline{\{\ga\}}.\)
Les ouverts élémentaires \(D_T(x)\) de la topologie spectrale sont quasicompacts.
En effet, soit \(a\in T\) et supposons donné un recouvrement \(\{D_T(x)\,,\>x\in \Phi\}\) (\(\Phi\subset T)\) de \(D_T(a)\) par des ouverts élémentaires. Pour tout idéal \(\ga\in D_T(a),\) il existe donc \(x\in\Phi\) tel que \(\ga\in D_T(x),\) c'est-à-dire \(x\notin \ga\) ; par contraposée : tout idéal premier \(\ga\) contenant \(x\) contient \(a,\) autrement dit, d'après : l'idéal engendré par \(\Phi\) contient \(a.\) D'après il existe alors un ensemble fini \(\Psi\subset\Phi\) tel que \(a\) soit dans l'idéal engendré par \(\Psi.\) Alors tout idéal, et par conséquent tout idéal premier, contenant \(\Psi,\) contient \(a,\) c'est-à-dire, par contraposée : \(\{D_T(x)\,,\>x\in \Psi\}\) est un recouvrement de \(D_T(a).\)
Inversement, tout ouvert quasicompact de \(\,\Spec(T)\) est de la forme \(D_T(x).\)
En effet, tout ouvert \(U\) est réunion d'ensembles de la forme \(D_T(x),\) et si \(U\) est quasicompact il est donc réunion d'un nombre fini d'entre eux. Il suffit ensuite de remarquer que si \(I\) est un ensemble fini on a \[\Union_{i\in I}D_T(x_i)=D_T\Big(\bigvee_{i\in I}x_i\Big).\]
Tout ceci démontre finalement le point a) : \(\Spec(T)\) est sobre comme espace de Kolmogorov dans lequel tout fermé irréductible a un point générique. Les \(D_T(x)\) forment une base d'ouverts quasicompacts. Enfin \(\Spec(T)=D_T(1)\) est quasicompact, et l'intersection de deux ouverts quasicompacts est de la forme \(D_T(x)\inter D_T(y)=D_T(x\wedge y)\) donc quasicompacte.
Preuve du point b)
Il suffit de démontrer que \(\oqc(X)\) est un sous-treillis de \(\mathcal{P}(X).\) Mais dans tout espace topologique toute intersection finie, toute réunion d'ouverts est un ouvert, toute réunion finie de parties quasicompactes est quasicompacte, et par définition dans un espace spectral toute intersection finie d'ouverts quasicompacts est quasicompacte (le cas de l'intersection d'une famille vide provenant de la quasicompacité de l'espace tout entier).
Preuve du point c)
Il résulte facilement des paragraphes qui précèdent que si \(T\) est un treillis distributif, l'application \(x\mapsto D_T(x)\) est un morphisme surjectif de treillis de \(T\) vers \(\oqc(\Spec(T)).\) Pour l'injectivité : pour tout \(x\in T,\) \(I_T(V_T(x))\) est l'idéal engendré par \(x\) c'est-à-dire \(\{z\in T\tq z≤x\},\) d'où \(x=\max(I_T(V_T(x)))\) est uniquement déterminé par \(V_T(x),\) et par conséquent par \(D_T(x).\)
Preuve du point d)
Dans la suite \(X\) désigne un espace spectral.
Si \(F\) est un fermé de \(X,\) on pose \(\Phi(F)=\{U\in\oqc(X)\tq F\inter U=\Vide\}.\) Pour tout idéal \(\ga\) du treillis \(\oqc(X)\) on pose \(\Psi(\ga)=X\setminus\Union_{U\in \ga}U.\)
\(\Phi\) est une application décroissante de l'ensemble des fermés de \(X\) dans l'ensemble des idéaux de \(\oqc(X),\) et \(\Psi\) est une application décroissante de l'ensemble des idéaux de \(\oqc(X)\) dans l'ensemble des fermés de \(X.\)
Cette assertion est évidente.
Les applications \(\Phi\) et \(\Psi\) sont des bijections réciproques l'une de l'autre.
Pour tout ensemble fermé \(F\subset X,\) on a d'abord \(\Psi(\Phi(F))=F.\) En effet, l'espace \(X\) ayant une base d'ouverts quasicompacts tout ouvert est réunion des ouverts quasicompacts qu'il contient. Inversement, pour tout idéal \(\ga\) de \(\oqc(X),\) \(\Phi(\Psi(\ga))=\ga.\) En effet, on a clairement \(\ga\subset\Phi(\Psi(\ga)).\) Pour l'autre inclusion il s'agit de montrer que tout ouvert quasicompact \(V\) inclus dans la réunion des éléments de \(\ga\) est dans \(\ga.\) Mais \(V\) étant quasicompact il existe un nombre fini d'éléments de \(\ga\) dont la réunion recouvre \(V.\) L'ensemble \(\ga\) étant un idéal (de \(\oqc(X)\) ordonné par inclusion) il en découle que \(V\in \ga.\)
Un idéal \(\ga\) de \(\oqc(X)\) est premier si, et seulement si, le fermé \(F=\Psi(\ga)\) est irréductible.
Supposons \(F\) irréductible. D'une part \(F\) est alors non vide donc \(\ga\) est un idéal strict (l'espace tout entier est quasicompact). D'autre part \(F\) admet un point générique \(x\) (l'espace \(X\) est sobre), c'est-à-dire : \(F=\overline{\{x\}}.\) Soient \(U\) et \(V\) deux ouverts quasicompacts tels que \(U\inter V\in\ga.\) Alors \(U\inter V\in\Phi(F)\) d'où \(x\notin U\inter V\) c'est-à-dire \(x\notin U\) ou \(x\notin V,\) donc \(F=\overline{\{x\}}\) est disjoint de \(U\) ou de \(V,\) soit \(U\in\Phi(F)\) ou \(V\in\Phi(F)\) c'est-à-dire \(U\in\ga\) ou \(V\in\ga.\) L'idéal \(\ga\) est donc premier.
Inversement, supposons l'idéal \(\ga\) premier. Alors \(F≠\Vide\) puisque \(\ga=\Phi(F)\) est un idéal strict. Supposons \(F=G\union H\) où \(G\) et \(H\) sont deux fermés stricts de \(F.\) Tout fermé de \(X\) étant l'intersection des fermés de complémentaire quasicompact qui le contiennent, il existe deux fermés de complémentaire quasicompact \(G'\) et \(H'\) dont la réunion contient \(F,\) aucun des deux ne contenant \(F.\) Alors \(X\setminus(G'\union H')\in \Phi(F)=\ga.\) L'idéal \(\ga\) étant premier on en déduit \(X\setminus G'\in \ga\) ou \(X\setminus H'\in \ga,\) ce qui est une contradiction puisque \(\ga=\Phi(F)\) et qu'aucun des deux fermés \(G'\) et \(H'\) ne contient \(F.\) Le fermé \(F\) est donc irréductible.
Soit \(x\in X.\) On pose \(\ph(x)=\Phi(\overline{\{x\}}).\) Le fermé \(\overline{\{x\}}\) étant irréductible \(\ph(x)\) est un idéal premier de \(\oqc(X),\) c'est-à-dire un point de l'espace spectral \(\Spec(\oqc(X)).\) Inversement, soit \(\ga\) un idéal premier de \(\oqc(X),\) et \(x\) le point générique de \(\Psi(\ga).\) Le point \(x\) est uniquement déterminé car \(X\) est sobre. On pose alors \(x=\psi(\ga).\) D'après et \(\ph\) est une bijection de \(X\) sur \(\Spec(\oqc(X))\) dont \(\psi\) est la bijection réciproque.
L'application \(\ph\) est continue.
Soit \(G\) un fermé de \(\Spec(\oqc(X)).\) Par définition de la topologie spectrale il existe un idéal
\(\ga\) de \(\oqc(X)\) tel que \(G\) soit l'ensemble des idéaux premiers contenant \(\ga.\) Posons
\(F=\Psi(\ga).\) Pour tout point \(x\in X\) on a
L'application \(\psi\) est continue.
Soit \(F\) un fermé de \(X,\) \(\ga=\Phi(F),\) et \(G\) le fermé de \(\Spec(\oqc(X))\) constitué des
idéaux premiers contenant \(\ga.\) Pour tout point \(\gb\in\Spec(\oqc(X))\) on a
L'application \(\ph\) est donc un homéomorphisme de \(X\) sur \(\Spec(\oqc(X)),\) ce qui achève la démonstration.
Le cas particulier des algèbres de Boole
Une
Il est bien connu qu'un espace topologique compact est totalement discontinu si, et seulement si, il admet une base d'ouverts fermés. Il en résulte facilement que les espaces spectraux séparés sont les espaces compacts totalement discontinus. On en déduit que l'énoncé mentionné en introduction est bien un cas particulier du théorème de Stone, moyennant le résultat suivant :
— Pour tout treillis distributif \(\,T\) les conditions suivantes sont équivalentes :
- Tout idéal premier est maximal ;
- L'espace spectral \(\;\Spec(T)\) est séparé ;
- \(T\) est une algèbre de Boole.
- Supposons (i). Alors tout singleton de \(\Spec(T)\) est fermé (voir ) mais cela ne donne pas
encore la séparation. Mais si \(\ga\) et \(\gb\) sont deux points distincts dans \(\Spec(T),\)
c'est-à-dire deux idéaux premiers distincts, l'un des deux, par exemple \(\ga,\) ne contient pas l'autre.
Soit \(x\in\gb\setminus\ga.\) Considérons l'ensemble \[\gf=\{s\wedge x\,,\>s\in T\setminus\gb\}\,.\]
L'ensemble \(\gf\) est non vide car il contient \(1\wedge x=x,\) et stable par \(\wedge\) (car \(\gb\)
étant premier on a \(s,s'\notin \gb\implique s\wedge s'\notin\gb).\) On a nécessairement
\(0\in\gf\) : si ce n'était pas le cas d'après appliqué à l'idéal \(\{0\},\) il existerait un idéal premier
\(\gi\) disjoint de \(\gf.\) Alors pour tout \(s\in T\setminus \gb\) on aurait \(s\wedge x\notin \gi\)
donc \(s\notin\gi,\) de sorte que \(\gi\subset\gb,\) d'où \(\gi=\gb\) puisque par hypothèse tout idéal
premier est maximal, ce qui contredirait \(x=1\wedge x\notin\gi.\)
Il existe donc \(s\notin\gb\) tel que \(s\wedge x=0.\) Mais alors \[\Vide=D_T(0)=D_T(s\wedge x)=D_T(s)\inter D_T(x)\,.\] Par conséquent \(D_T(x)\) et \(D_T(s)\) sont deux ouverts séparant \(\ga\) et \(\gb.\) L'espace \(\Spec(T)\) est donc séparé. - Supposons (ii). Alors \(\Spec(T)\) est compact donc \(\oqc(\Spec(T))\) est l'ensemble des ouverts fermés de \(\Spec(T).\) Il constitue par conséquent une sous-algèbre de Boole de \(\mathcal{P}(\Spec(T)).\) Le treillis \(T\) est donc lui-même une algèbre de Boole, puisque \(T\simeq \oqc(\Spec(T).\)
- Supposons (iii). Soit \(\ga\) un idéal premier de \(T,\) et \(x\in T\setminus\ga.\) On a \(x\wedge \neg x=0\in \ga,\) et l'idéal \(\ga\) étant premier il en résulte que \(\neg x\in \ga.\) Mais alors tout idéal contenant \(\ga\) et \(x\) contient \(x\vee\neg x=1\) donc est égal à \(T,\) c'est-à-dire : \(\ga\) est maximal.
Dualité de Stone
Le théorème de Stone est bien plus qu'un résultat de représentation : il fournit un théorème de dualité. Un résultat de dualité affirme l'anti-équivalence de deux catégories \(C_1\) et \(C_2,\) c'est-à-dire une équivalence de catégories entre \(C_1\) et la catégorie duale \(C_2^{{\rm op}}.\)
Notons :
- \(\td\) la catégorie ayant pour objets les (petits) treillis distributifs et pour flèches les morphismes de treillis ;
- \(\sp\) la catégorie ayant pour objets les (petits) espaces spectraux et pour
flèches les applications
spectrales , c'est-à-dire telles que l'image réciproque de tout ouvert quasicompact soit un ouvert quasicompact (pour les espaces spectraux cette condition est plus forte que la continuité).
— Dualité de Stone Les correspondances \(T\mapsto\Spec(T)\) et \(X\mapsto \oqc(X)\) définissent des anti-équivalences de catégories entre \(\,\td\) et \(\,\sp,\) quasi-inverses l'une de l'autre.
De la même façon on montre que l'on définit un foncteur contravariant \(\oqc\) de \(\sp\) vers \(\td\) en posant, pour chaque application spectrale \(f:X\to Y\) entre espaces spectraux et \(U\in\oqc(Y),\) \[\oqc(f)(U)=f^{-1}(U).\]
Vérifions ensuite que l'isomorphisme \(\theta_T:x\mapsto D_T(x)\) de \(T\) sur \(\oqc(\Spec(T))\) est naturel en \(T.\) Soit \(f:T\to T'\) un morphisme de treillis distributifs, et \(x\in T.\) On a : \begin{eqnarray*} (\theta_{T'}\circ f) (x)&=&D_{T'}(f(x))\\ &=&\{\ga\in\Spec(T')\tq f(x)\notin\ga\}\\ &=&\{\ga\in\Spec(T')\tq x\notin f^{-1}(\ga)\}\\ &=&\{\ga\in\Spec(T')\tq f^{-1}(\ga)\in D_T(x)\}\\ &=&\{\ga\in\Spec(T')\tq \Spec(f)(\ga)\in D_T(x)\}\\ &=&\Spec(f)^{-1}(D_T(x))\cr &=&\oqc(\Spec(f))(D_T(x))\\ &=&\oqc(\Spec(f))\circ \theta_T(x)\,, \end{eqnarray*} d'où \[\theta_{T'}\circ f=\oqc(\Spec(f))\circ \theta_T\,.\]
De la même façon on montre que l'isomorphisme \(\theta'_X:x\mapsto\ph(x)\) de \(X\) sur \(\Spec(\oqc(X))\) défini dans la section précédente est naturel en \(X.\)
Épilogue
Le lecteur aura remarqué l'analogie entre les notions étudiées ici et les outils classiques de l'algèbre commutative (idéaux, idéaux premiers, spectre d'un anneau et topologie de Zariski). On notera que la notion de spectre fonctionne de façon encore plus simple dans le cas d'un treillis que dans celui d'un anneau : dans un anneau commutatif \(A,\) l'intersection des idéaux premiers contenant un ensemble \(B\subset A\) est l'idéal radical engendré par \(B,\) et l'application \(x\mapsto D_A(x)\) (ensemble des idéaux premiers de \(A\) contenant \(x)\) n'y est plus injective : \(D_A(x)=D_A(y)\) équivaut au fait que \(x\) et \(y\) engendrent le même idéal radical, ce qui n'équivaut plus à \(x=y\) mais s'écrit : \(\exists p,q>0\,,\>y^p\in Ax\) et \(x^q\in Ay.\) Dans un treillis distributif, où l'opération \(\wedge\) joue le rôle de la multiplication, il n'y a pas de radical du fait de l'idempotence de tout élément.
Cela dit, la topologie de Zariski d'un anneau commutatif fournit elle aussi un espace spectral au sens où on l'a défini au . Cela s'interprète en remarquant qu'elle est étroitement liée à la structure de treillis : on peut montrer que les radicaux des idéaux de type fini d'un anneau commutatif \(A\) forment un treillis distributif \(\zar(A)\) (treillis de Zariski de \(A)\) dont la topologie spectrale est homéomorphe à la topologie de Zariski. Autrement dit les espaces \(\Spec(A)\) (espace spectral d'anneau) et \(\Spec(\zar(A))\) (espace spectral de treillis) sont homéomorphes, d'où, d'après le théorème de Stone : \(\zar(A)\) est isomorphe à \(\oqc(\Spec(A)),\) ce qui illustre le fait qu'à partir de l'ouvert quasicompact \(D_A(x)\) de \(\Spec(A)\) on ne récupère pas \(x\) mais seulement l'idéal radical qu'il engendre.
Inversement, on peut montrer que tout espace spectral est homéomorphe à celui d'un anneau commutatif (théorème de HochsterVoir : M. Hochster, Prime ideal structure in commutative rings. Transactions of the American Mathematical Society. 142. (1969), p. 43-60.). En appliquant le théorème de Stone on en déduit que tout treillis distributif est isomorphe au treillis de Zariski d'un anneau commutatif.
Lorsque \(A\) est un anneau de Boole, l'anneau \(A\) devient lui-même un treillis distributif (algèbre de Boole) dont les idéaux premiers coïncident de façon évidente avec ceux de \(A\) en tant qu'anneau, d'où on déduit la séparation de \(\Spec(A).\) Plus généralement, les anneaux commutatifs \(A\) à espace spectral séparé sont ceux dont le quotient par le nilradical est ce que Bourbaki appelle un anneau absolument plat, ce qui revient à dire que pour tout \(x\in A\) il existe \(a\in A\) tel que \(x-ax^2\) soit nilpotent.Voir : N. Bourbaki, Éléments de mathématique : Algèbre commutative. Chap. 2. § 278 3. ex. 16. Hermann, Paris (1961). Cette condition équivaut donc au fait que le treillis \(\zar(A)\) est une algèbre de Boole.
Au lieu de définir \(\Spec(T)\) à l'aide des idéaux premiers du treillis distributif \(T,\) on aurait pu procéder de façon duale (en considérant l'ordre opposé) à partir des filtres : on obtient alors un isomorphisme de \(T\) sur le treillis des fermés de complémentaire quasicompact d'un espace spectral.
Si le point de vue des idéaux illustre l'analogie avec l'algèbre commutative, celui des
filtres permet de faire le lien avec la logique : les filtres apparaissent naturellement dans un cadre
logique minimal basé sur le seul connecteur d'implication. Pour le voir tout en restant dans un cadre très
élémentaire, considérons un système logique
, constitué d'un ensemble \(E\) (de propositions
,
ou formules
) muni d'une loi de composition \(\f\) (l'implication
), et d'une partie \(A\)
(l'ensemble des axiomes
). Une formule est dite démontrable si elle admet une démonstration utilisant
comme axiomes les éléments de \(A\) et comme règle de déduction le modus ponens
: à partir de
\(p\) et de \(p\f q\) on peut déduire \(q.\) Autrement dit, les formules démontrables sont les éléments de
la théorie engendrée par \(A,\) une théorie étant une partie de \(E\) stable par modus ponens. On peut
alors définir des théories irréductibles
, et en choisissant convenablement l'ensemble des axiomes
on dispose d'un théorème de Krull (toute théorie contenant \(A\) est l'intersection des théories
irréductibles qui la contiennent) et d'une topologie spectrale sur l'ensemble \(\Spec_A(E)\) des théories
irréductibles contenant l'ensemble d'axiomes \(A.\)
La condition à imposer sur l'ensemble \(A\) est qu'il contienne au moins les axiomes
de Hilbert de l'implication en logique intuitionniste, c'est-à-dire les formules de la forme \[p\f (q\f
p)\] ainsi que celles de la forme \[(p\f(q\f r))\f((p\f q)\f(p\f r))\,.\] On passe ensuite à la logique
classique
en rajoutant à l'ensemble d'axiomes \(A\) la loi de Pierce,
c'est-à-dire l'ensemble des formules de la forme \[((p\f q)\f p)\f p\,,\] qui permet tous les raisonnements
non constructifs (raisonnement par l'absurde, tiers-exclu, etc.) Si l'ensemble d'axiomes \(A\)
contient la loi de Pierce, l'espace topologique \(\Spec_A(E)\) devient séparé (et réciproquement) et les
théories irréductibles contenant \(A\) deviennent maximales (ce qui illustre en passant de façon
algébrique
le fait que la logique classique se contente de deux valeurs de vérité :
d'après le théorème de Krull la classe d'équivalence logique d'une formule ne dépend alors que des théories
maximales qui la contiennent, et chaque quotient par une théorie maximale a deux éléments). La morale de
cette histoire, c'est que le passage de la logique intuitionniste à la logique classique se caractérise
par la séparation de la topologie spectrale.
En présence de suffisamment d'autres connecteurs et des axiomes adéquats, \(\Spec_A(E)\) devient un véritable espace spectral et l'ensemble \(E\) quotienté par équivalence logique (intuitionniste) devient un treillis distributif \(H,\) et même une algèbre de HeytingUne algèbre de Heyting est un treillis \(H\) muni d'une loi de composition \(\f\) vérifiant, pour tous \(x,y,z\in H,\) la condition \[x\wedge y≤z\ssi x≤y\f z.\] (structure intermédiaire entre les treillis distributifs et les algèbres de Boole). Dans le passage au quotient les théories deviennent les filtres du treillis distributif \(H,\) et \(\Spec_A(E)\) est homéomorphe à \(\Spec(H^{op}).\) En présence de la loi de Pierce, l'algèbre de Heyting \(H\) devient une algèbre de Boole et l'on retrouve la séparation de \(\Spec_A(E).\)
Comme on l'a déjà mentionné, on mesure en lisant P. Johnstone à quel point
Stone était en avance sur son temps : l'article de Stone date de 1937, celui de Zariski de 1950, et
encore ce dernier ne considère-t-il que le cas des variétés algébriques.Selon Johnstone l'idée d'une topologie sur les
idéaux premiers d'un anneau commutatif quelconque est due indépendamment à Jacobson (1945) et
Grothendieck (1960) à qui l'on doit l'appellation Topologie de Zariski
.
Le lecteur désireux d'aller plus loin pourra consulter :
- L'incontournable ouvrage de Johnstone déjà évoqué.P. Johnstone, Stone Spaces, Cambridge University Press (1986).
- Un excellent papier pour faire le lien avec la théorie de Galois abstraite et les
correspondances de
Galois.
M. Erné, J. Koslowski, A. Melton, G. E. Strecker A primer on Galois connections, Ann. N.Y. Acad. Sci 704, p. 103-125 (1993). - La dualité de Stone sur Wikipedia.
- La dualité de Stone sur \(n\)Lab.